jeudi 10 avril 2014

Fumier


Oyez, oyez, le printemps est arrivé, la Bretagne se couvre d'une odeur de purin du plus bel effet!  Le fumet s'accompagne d'une explosion de jaune, celui des genêts et des ajoncs.
Le pays  pue!
C'est l'heure de l'épandage, activité codifiée, légale, mais polluante, chargeant les  nappes phréatiques et les cours d'eau de produits qu'il ne faut mieux pas connaître...
J'aime (l'odeur pas les nitrates). 
Je pense alors aux fermes où j'allais petite chercher le lait, assister à la traite et nourrir les lapins. La fermière assise sur un trépied s'excitait sur les pis, tandis que le lait, en jets violents et droits, giclait dans le seau mousseux à moitié rempli. J'aimais tout particulièrement le premier tir qui frappait la tôle.
La vache balançait de grands coups de queue pour chasser les mouches qui se régalaient sur les croutes de bouses collées sur son arrière train, il est probable que la pureté du lait devait en être entachée ... Mais on était immunisé.
Le purin s'écoulait en ruisseau vers la mare en contre-bas de la cour où courait la volaille: des poules surveillées par un coq fier comme artaban, la crête rouge écarlate, deux fois plus gros que les femelles, indifférentes à son port de tête. Le jars me faisait particulièrement peur, il m'avait pincé le mollet une fois (la sale bête), il ignorait les dindons et les canards. La cour était particulièrement cracra entre les fientes, la boue et le purin. De temps en temps le cheval de trait y lâchait son crottin.
J'aimais nourrir les lapins dans leur clapier avec du plantin puis on allait jouer dans les bottes de paille de la grange: grimper l'échelle, se vautrer. On en sortait couvert de griffures sur les mollets à la peau craquelée par le soleil. 
La journée terminait par une balade vers les champs afin de voir les chevaux, énormes, ils m'inspiraient un peu de crainte car l'histoire familiale restait marquée par la mort d'un arrière grand-père ayant reçu un coup de sabot à la fin du XIXème siècle. 
Grimper sur la barrière de bois présentait une part de risque, certes, mais infiniment moins dangereuse que de s'approcher du cheval.
Il me semble sentir à nouveau la rugosité de l'écorce que j'aimais caresser jusqu'à la marque d'usure faite par la main du paysan qui la faisait pivoter.

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