jeudi 14 mai 2015

Longuefuye

Tous les ans à la même époque je pense à Longuefuye. Cette année,  le nom du village semble lourd de significations comme si ma vie n'avait été qu'une longue fuite.

J'ai habité Longuefuye. Ce nom reste magique à bien des égards. 
Petit village ramassé autour de son église, près de son école unique, c'est un trou perdu de la Mayenne, longtemps propriété du châtelain qui ne vivait plus sur place mais laissait à son métayer le soin de cultiver les terres.
Courir ce matin par ce temps magnifique m'a rappelé les talus et les fossés du village en mai, lorsque les grillons chantent à qui mieux-mieux, parmi les marguerites et les coquelicots. L'air était vibrant, poussiéreux d'or. J'ai pensé au blé en herbe de Colette, au film de Louis Malle, Milou en mai. Là, plus de marguerites ni de coquelicots, éradiqués par les défoliants du paysan qui s'évertue à bouffer à chaque fois le chemin côtier en le labourant (c'est méconnaître la constance des promeneurs et des coureurs à pieds qui, coûte que coûte, passent au même endroit) mais la mer bleue sous un ciel limpide, des asphodèles en pagaille et des bruits de vipères ou de lézards qui, à mon approche, abandonnent leur plage ensoleillée. Chaque année je les photographie ces asphodèles tandis que j'écoute les oiseaux au réveil et les crapauds qui s'en donnent à coeur joie. 
Ce matin était donc magique, chaud comme rarement en été, avec des verts de de printemps, tendres, sombres, en infinies nuances. J'entendais les grillons, la musique de Stéphane Grapelli ou mieux Birély Lagrène.

J'étais institutrice à Longuefuye en classe unique avec 7 élèves dont quatre en classe enfantine, et deux niveaux de primaire un en CP et deux en CE1, c'était mon premier poste. La mairie avait rénové le logement pour moi mais je n'ai jamais pu me résoudre à y dormir, c'était à 20 ans un enterrement de première classe. Je garde pourtant de mes premiers élèves un souvenir ému, surtout de Manuel si attachant qui passa l'année suivante à plat ventre, sur un charriot, la jambe en traction car il faisait une osthéocondrite du col du fémur.....Sa mère et moi qui aimions beaucoup discuter le soir après la classe par dessus le mur de pierre, trouvions bizarre sa démarche dansante, sur la pointe des pieds, il disait avoir mal au genou. Un examen plus poussé a fini par révéler le problème.
Je l'ai retrouvé sur le net, tout à l'heure, car il fait de la politique, il a presque un âge canonique, il a gardé sa bouille toute ronde, mais reste un peu petit pour un gars de cette génération. Il a quand même pas mal changé. Ce n'est rien de le dire....
Moi aussi j'ai changé, j'avais les cheveux très courts façon garçonne ou Annie Girardot dans mourir d'aimer, la tenue "instit", jupe bleu marine sous le genou,  chemisier blanc, pull col V " university of Columbia en schmellpof", kickers à languettes et un compagnon qui n'hésitait pas à me rejoindre en stop d'Angers tellement on s'aimait. C'était sympa de marcher sur les petites routes, les vibrations de l'air jouaient jeux interdits, (le film avant les bombardements sur les réfugiés), c'était vibrant, mais l'hiver était mortel et j'ai fui très vite, très très vite ....  Longuefuye était déjà l'annonce d'un long programme.  

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