J'ai deux activités principales, en dehors de la lecture, jardiner -mettre propre, arracher les mauvaises herbes, tailler, tondre, ratisser- et tenter de faire du vide dans la maison (trier pour jeter). La première nécessite une à deux heures par jour, elle est efficace car l'effet se voit immédiatement et procure une ineffable satisfaction même si, à y bien regarder, il reste quelques mauvaises herbes entre les pierres, les buissons ne sont pas rasés parfaitement et donneront des rejets dans les semaines à venir, le produit des tailles pourrit sur la pelouse en un gros tas malodorant, attendant des mois la venue du jardinier censé évacuer les déchets végétaux, qui ne vient jamais, alors qu'il promet toujours de venir demain hier.
La deuxième est le plus souvent un échec total, toujours avortée dans l'oeuf au premier livre trouvé ou dossier compulsé ou boîte ouverte! Il faudrait jeter à l'aveugle, sans souvenirs, sans curiosité et surtout sans états d'âme. Ainsi donc, hier, je me suis levée dans un grand élan enthousiaste du canapé, après la sieste postprandiale, bien décidée à libérer une étagère du placard afin de la laisser vide! Deux minutes après je rapportais sur le bureau une belle boîte à chaussures "Charles Jourdan", rouge, remplie de bidules dont j'ignorais tout! Elle sent le renfermé, le vieux, l'ancien, le "mathusalem", elle a atterri dans mon placard lorsque l'on a vidé l'appartement de ma mère et je l'ai oubliée ignorant tout de son contenant, et jusqu'alors j'imaginais qu'elle gardait sans doute une paire de chaussures d'une marque quelconque!
En étalant son contenu sur le bureau, j'ai compris qu'elle enrichissait grandement les archives de mon grand-père Emile dont j'essaye à travers les comptes de retracer la vie!
J'ai sorti:
- des agendas entamés où sont griffonnées des recettes de médicaments, d'onguents ou de potions
- des certificats de pension de retraité
- un journal précieusement gardé, La Grande relève des hommes par la science (Hebdomadaire de l'économie distributive et organe du M.F.A) du 8 novembre 1958
- des notes sur des petits bouts de papier
- des chansons recopiées
- toutes ses médailles militaires
- des médailles pieuses de la Sainte-Vierge dans un petit sac au crochet marron de la taille d'un double dé à coudre.
- le dentier de ma grand-mère car mon grand-père n'en a jamais porté, il lui restait au milieu de la mâchoire du haut, une incisive bien décidée à ne jamais tomber. Souvent hilare et rigolard, il ouvrait grand la bouche, c'est alors qu'elle me frappait par son incongruité et je me suis toujours demandée à quoi elle pouvait bien servir!
- deux crucifix portatifs
- un chapelet
- quelques lettres
- la photo d'un individu inconnu, celle de mes parents
- un porte-monnaie en simili-cuir tout écaillé, rempli de papiers pliés en quatre écrits mais pour la plupart illisibles et très fragiles
- des prospectus de la fin des années 60 afin de défendre et sauver la sécurité sociale dont les slogans font échos très largement à ce qu'on entend aujourd'hui
- et cerise sur le gâteau, son brassard d'infirmier pendant la guerre 14-18 estampillé "Ministère de la guerre".
Le contenu de la boîte complète les carnets de compte d'autant qu'un billet résume une vie de labeur et de misère pauvreté!