Je pense déprimer un peu! D'habitude, mai est le mois des premières chaleurs, le mois où l'on peut enfin abandonner le pull, la doudoune, le kabig, les chaussettes et envisager les sandalettes!
Quand j'étais petite, ma mère décidait un jour, - pour une raison connue d'elle seule -, qu'il était temps de troquer la blouse contre le tablier, le pantalon ou les collants de laine contre le short, les brodequins contre les sandalettes! Exit les vêtements d'hiver, ils disparaissaient de ma vue, sans doute enfouis dans la naphtaline des armoires.
Le seul lainage autorisé, en cas de retour de la froidure, restait le gilet bleu marine - et encore fallait-il que ma mère ait froid! Je crois me souvenir que je possédais un capuchon, cape à capuche, sans manche, en toile cirée, à tout petits pois noirs sur fond blanc!
Les petites jambes maigrelettes prenaient alors une jolie teinte bronzée, un temps marquée par la rayure des soquettes qui, dans les sandalettes, assuraient la transition avant le règne des pieds nus! Les genoux apparaissaient gros, osseux, fragiles, ils passaient tout l'été scarifiés par les chutes! Une croute remplaçait une autre croute à peine séchée! Lorsque la blessure s'avérait grave, ma mère désinfectait à l'alcool à 90 qu'elle a fini par troquer, sur le tard, par de l'eau oxygénée. Elle était réticente au changement, persuadée que l'eau ne prévenait pas vraiment le risque de tétanos, le mal de chien ressenti devait garantir une efficacité totale pour lutter contre les microbes! On était ainsi doublement puni pour être tombé!
Elle badigeonnait ensuite la plaie avec un tampon de coton imbibé de mercurochrome qui laissait des pluches sur la blessure! Exceptionnellement le genou finissait étiqueté d'un bout de sparadrap qu'il fallait garder peu de temps afin que l'écorchure sèche! La nuit, le pyjama collait, le matin d'un coup sec, le genou saignait à nouveau! Parfois il pouvait rester un petit morceau de caillou noir, incrusté sous la peau que le pus évacuait finalement. Je garde de belles cicatrices toutes roses sur peau lisse, sous la rotule.
Mais, j'aimais par dessus tout, chausser les sandalettes! C'est de là, je pense que vient mon addiction aux chaussures, les brodequins ne me faisaient pas rêver! Les sandalettes oui!
Elles étaient blanches à lanières très fines, l'une d'entre elles, tenait les orteils, les deux autres se croisaient sur le dessus du pied, la dernière les reliait et passait derrière le talon, elle s'attachait sur les côtés à l'aide d' une petite boucle dorée. L'intérieur de la semelle de cuir était brun clair au début de l'été, sombre et patiné en septembre, la semelle en contact avec le sol était devenue presque gris clair, piquetée de minuscules traces de gravillons, j'en surveillais l'usure et priais pour les garder le plus longtemps possible. En général, je les portais neuves, un peu grande pour qu'elles durent deux saisons! Elles conféraient élégance et agilité, légèreté et liberté des pieds et des doigts de pieds. Il me semblait courir plus vite et grimper aux arbres plus facilement. Par pudeur, je n'évoquerai pas l'hygiène douteuse en fin de semaine!
Les sandalettes se mariaient avec les verts du bocage piqueté de coquelicots, les marguerites à profusion, les renoncules, les fougères du mur, les grandes herbes des fossés, le goudron de la cour, le granite des marches sur lesquelles je m'asseyais, dans le parfum des roses trémières qui ployaient sous le poids des fleurs au dessus de la porte d'entrée. La semelle se faisait légère et douce sur le plancher des salles de classe, noir et huileux, elles donnaient le sentiment de caresser les repose-pied des tables d'écolier.
Avec les sandalettes, on goûtait de pain beurre+fraises+sucre , coupées en petits dés; les fenêtres restaient grandes ouvertes, les grillons ne se taisaient qu'au soir, pris en relais par les martinets, la poussière vibrait dans les rayons du soleil. Par grande chaleur, ma mère sortait une énorme bassine d'eau, où l'on barbotait.
On troquait les sandalettes pour des tongs, le temps de la plage en Bretagne ce qui permettait de les économiser.
Je ne les ai jamais retrouvées ces sandalettes de mon enfance! En ce mois tout pourri, elles pourraient combler ma légère déprime!
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