Un de mes plus grands plaisirs quand j'étais petite, à Sacé, était de monter sur le mur de l'école afin de voir passer la procession. Je calais mes pieds sur les petites aspérités de granite, l'arrondi du muret (je sais aujourd'hui qu'il s'agissait d'un petit mur) était chaud sous les bras, presque molletonné. Les lichens grattaient la paume de la main, le pied ripait et d'un bras leste passé sur la courbure, penchée vers le fossé, je pouvais tenir tant que durait le spectacle. Parfois ma mère me retenait à l'aide de sa jambe, qu'elle plaçait à la manière d'un haut tabouret.
Immanquablement, chaque année, du mur de l'école publique, ma mère et moi les regardions passer.
Ma mère pouffait, "bouffait du curé", ne s'en privait pas, et préférait cotiser au syndicat d'extrême gauche qu'au denier du culte.
Pour autant, je ne m'expliquai pas bien pourquoi elle allait aux enterrements ....
Ramasser les fémurs et les péronés qui sortaient du sol autour de l'église compensait largement cette incohérence.
Toujours est-il qu'avec le vieil instituteur en retraite qui vivait plus haut dans la rue, nous étions les seuls à ne pas participer à l'expiation collective. J'en tirai une certaine gloire, nous n'avions pas besoin de démonstration magique pour vivre et bien se porter!
La procession avait du chien et tout particulièrement le curé et les communiants, je n'ai qu'un vague souvenir de la suite du troupeau, si ce n'est la noirceur des manteaux et des chapeaux des femmes souvent tristes à pleurer. Une arborait une plume mauve sur le col officier de son manteau.
Mes camarades étaient méconnaissables avec leur aube blanche, armés de cloches ou de clochettes, je n'ai aucun souvenir d'y avoir vu des filles, la robe effaçait les différences!
En tête le bedeau balançait une bannière brodée brandie sur un long manche.
Tous passaient, solennels, tranquillement, les visages inclinés avec un air de consomption ampoulé, devant l'école publique sans même y jeter un oeil, ou alors en coin. Il faut dire qu'on les dominait et que ma mère ricanait dans sa barbe.
Je crois me souvenir qu'ils chantaient en se balançant de droite à gauche, lentement, se dirigeant vers le cimetière rejeté depuis longtemps à la périphérie du village. Près de la grille, peinte en vert, trônait une croix de granite, sobre. J'ai toujours entendu ma mère dire qu'il s'agissait d'une croix de mission, et je pense en avoir toujours connu la signification: une croix érigée pour prier Dieu afin qu'il guérisse les hommes de leurs péchés et surtout des épidémies de choléra ou de peste!
Adulte, au cours de mes études, j'ai trouvé une description des premières processions de communiants juste après le concile de Trente qui réformait l'église afin de vaincre les protestants. Terminée la fréquentation des églises sans un minimum d'instruction religieuse, le catéchisme dûment enseigné allait recadrer les foules chrétiennes! Au village, tous mes petits et petites camarades faisaient leur première communion! Ils entretenaient un grand mystère autour de la cérémonie mais je ne suis pas certaine qu'ils savaient bien à quoi elle pouvait servir (recevoir des cadeaux?) ....
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