samedi 5 décembre 2020

Au lavoir

Un lavoir rénové 


Par quelle association d’idées, ai-je pensé au lavoir de Sacé? 
J'ai la quasi certitude de l'avoir fréquenté petite, mais les souvenirs sont flous, reconstruits ou inventés. 
Est-ce ma mère, peu portée sur les taches ménagères ou la bonne qui le fréquentait, je ne m'en souviens plus, pourtant, les images sont bien présentes. 
C’était un lavoir classique, un large bassin rectangulaire, cerné d’un rebord cimenté légèrement incliné, d'environ cinquante centimètres de large, il était coiffé d’un préau au joli toit d'ardoises, soutenu par des poteaux de chêne aux arrêtes patinées. Des coffrets pour y enserrer les genoux restaient sur place, Doudou y enfonçait un couverture de lit de bébé usée ou des vieux draps pliés. Elle s’armait d’un battoir, d’une brosse et d’un énorme morceau de savon de Marseille. Je vois très précisément son geste violent s’abattre sur les draps qui pendaient dans le bassin. 
Est-ce vrai ou ai-je rêvé cette scène? 
Compte tenu du peu d’appétence de ma mère pour le ménage, je pense qu'il s'agissait de la bonne, elle arrivait le matin et ne repartait que le soir, il fallait bien qu'elle ait du travail, en dehors des enfants à s'occuper. 
Au lavoir, je me souviens de son inquiétude de me voir tomber dans l’eau et des multiples recommandations qu'elle disait afin de me tenir à distance. J’avais pourtant le droit d’en faire le tour en longeant un mur qui protégeait les femmes du vent d'ouest, celui truffé de niches où elles  laissaient leurs ustensiles et leur coffre à genoux. La pierre était bien sèche, recouverte d’une poussière duveteuse, grise et blanche. Je longeais le mur chaud du soleil de l'été en le caressant, fascinée par l'eau limpide du lavoir où se mêlaient les coulées de savon. 
Il est probable que la virée au lavoir était quotidienne ou hebdomadaire, parfois elle s'accompagnait de la sortie de la lessiveuse au milieu de  la cour de l'école où elle trônait menaçante et fumante. On y faisait bouillir le linge pendant les grandes vacances. Etayée de cailloux ou posée sur un simple trépied en ferraille, elle semblait en équilibre, je devais rester à distance ce jour de grand danger. 
L’eau était puisée à la pompe en fonte, à levier, près de la porte d’entrée. 
Je n'ai plus de souvenirs concernant le transfert des draps vers le lavoir pour le rinçage, il devait se réaliser en brouette probablement! 

Je me souviens des efforts considérables qu'il fallait donner, de charges lourdes, violentes, épuisantes, peu ou pas gratifiantes, d'énervements et d'injonctions. 

Le lave-linge est entré tardivement à la maison. A Sacé? Je n’en suis même pas certaine! Le cagibi sous l'escalier contenait un établi, des cageots, un garde-manger et rien d'autres. 
 
On était donc crasseux, de la tête aux pieds. Une blouse permettait de faire durer les vêtements plus longtemps. N'étaient changés que la culotte, le maillot de corps et les chaussettes, probablement une fois par semaine. Le reste "tenait" un certain temps...
Il est probable que le lave-linge ait été acheté en même que le réfrigérateur, en remplacement de Doudou qui a fini par quitter nos vies.  Exceptionnellement elle nous gardait mais chez elle! 

Plus tard mes parents ont également acheté un lave-vaisselle, mais ils l'utilisaient  rarement, ma mère préférait laver, vite fait, quatre assiettes que mon père essuyait, ils oeuvraient ensemble dans un rituel domestique bien rodé. Longtemps mon père n’a rien fait, trop occupé à travailler tard! L'aide qu'il a apportée est venue en même temps qu'une réglementation plus tatillonne des horaires de travail. 
Sacé, 1977, le lavoir (ou ce qu'il en reste)

1977

La réalité est tout autre, un vulgaire mur de parpaings, des planches de bois, pas moyen d'en faire le tour, je découvre dans les vieux albums ce qu'était le lavoir en 1977, photographié par mes soins! Il ne reste plus que les boîtes à genoux! Par quel mécanisme ai-je pu reconstituer dans mes souvenirs un lavoir qui n'a jamais existé? Le mille-feuille de tous ces lavoirs visités sur les chemins de randonnées s'est substitué à la réalité. 

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