
A l'âge de pierre, dans le
Couserans, une
tute est l'antre de l'ours des cavernes, une sorte d'abri sous roche. C'est aujourd'hui la résidence secondaire de la
Kike.
L'appellation se mérite! La grotte dans laquelle on pénètre par une étroite
infractuosité
est surmontée par plusieurs centaines de tonnes de granit. On doit
pouvoir y faire un feu de bois en position accroupie, l'usage des
allumettes et du briquet est toléré mais absolument pas le réchaud, on
doit tout pouvoir cuire sur les braises de hêtres aromatisées aux petits
bois de rhododendrons ou de conifères. C'est un combustible chèrement
gagné, ramassé à la limite de la forêt, arrimé au sac à dos déjà lourd à
tel point que parfois l'on tangue sous le poids, sur l'étroit chemin
qui grimpe vers la haute vallée."
Putain, on n'est pas des gonzesses! " argumente la
Kike en soupesant d'une main de professionnel le sac de chacun.
Une fois dans la
tute, on en jouit avec bonheur, le portage est le prix de la chaleur et de la convivialité. Les capacités d'enfumage de la
tute sont optimales, on sort de là, fumé comme un saumon ou mieux comme une andouille de
Guéméné! La position debout n'est possible qu'en apnée et les yeux fermés.
La soirée ne serait rien sans la
Kike, volubile, aux anges, ne tarissant pas d'éloges sur le confort cinq étoiles de la
tute. Il n'a pas son pareil pour raconter ses aventures en
Himalaya, taquiner les jeunes filles de la compagnie "c
omment tu ne fais pas la vaisselle et tu ne te prostitues pas pour payer tes études ? ben tu fais quoi alors ?"
L'aménagement
est spartiate mais suffisant, un bas flanc garni de vrais matelas
éculés accueille cinq corps dans le sens de la largeur et trois dans la
sens de la longueur. Malheur à celui qui jouxte la porte (enfin
l'entrée) de la caverne, il n'est pas à l'abri du petit vent de la nuit.
Les parois reçoivent les divers
ustensiles de cuisines, grilles, casseroles
culottées, ou les réserves de sel, poivre, herbes, tout ce qui fait un bon festin!
Un
ganesh
qu'il est bon de prier afin de garantir le beau temps, veille sur les
courageux montagnards venus y passer le week-end! Toutefois quelques
munitions bienvenues contribuent à oublier le confort rustique: une
soupe en sachet, les saucisses et côtelettes de chez
Pistol (le meilleur agneau de la région), le
moulis et surtout les cinq litres de rouge du
cubi, la bouteille de blanquette de
Limoux,
dignement sabrée, les bières, le pastis, la poire et c'est en
alcoolique que l'on goûte au sommeil dès 9h du soir car les libations
ont bien souvent commencé vers 16h lorsque le jour, cette fin octobre,
se fait ténu ... Les isards n'ont aucune crainte à avoir, les corps
avinés n'en peuvent plus, le renard seul profite des os balancés dans
l'herbe. La nuit on les entend craquer sous leur puissante
mâchoire.
Le
fin du fin est de se lever à trois heures du matin, de contempler un
ciel étoilé par -3° sans nuage puis de se glisser dans le sac de
couchage en duvet d'oie. C'est aussi au petit jour, découvrir la
Kike en position d'observation des isards, les jumelles vissées sur les yeux, tourné vers les sommets.
La
journée est riche, on explore généralement la vallée dans ce qu'elle a
de plus sauvage, on franchit des cols, on se baigne pour tenter de laver
la fumée dans les torrents glacés, on se chauffe sur l'herbe et surtout
on mange et on boit ce qui a survécu de la veille, avant le café et la
sieste! La
Kike est torse nu, le bob vissé sur la tête, il profite!
C'est à la nuit noire qu'on rentre au village, bienheureux!
J'ai souvent une pensée émue pour ceux d'autrefois qui arpentaient la vallée pour ramener
d'Espagne,
les fromages ou les jambons, pieds nus le plus souvent pour ne pas
abîmer leurs sabots, 20 km et 2000 m de dénivelé cumulé, au bas mot ...
