lundi 8 septembre 2014

Gilberte.

Quand il est temps de mourir! 

Gilberte était ma tante, la soeur de ma mère, la grande soeur, 7 ans de plus mais en taille la plus petite. C'est important car ma tante surnommait ma mère "la girafe", rancoeur traînée toute la vie. Elle était née en 1924, cinq ans après que mon grand-père soit revenu des quatre années de guerre qu'il a passées à Verdun comme infirmier. Ma mère est née 7 ans plus tard, pas vraiment désirée, ma grand-mère étant déjà âgée. 
Quels souvenirs ai-je de ma tante?
Son rire. Elle riait tout le temps, de tout, racontant les histoires en riant, avec ce qu'il faut de ton pour intéresser son auditoire. Elle penchait la tête en arrière, légèrement sur le côté. Elle cessait de rire pour râler mais avec empathie! "Oh, non ...Jacquot, tu ne peux pas dire cela!" Rien de plus, puis elle reprenait, le sourire sur les lèvres. Parfois même les grandes rigolades, les fou-rire avec ma mère, dans la cuisine, dont nous étions exclus, complices de toujours que la vieillesse a séparés! 
J'ai toujours trouvé ma tante compréhensive et cultivée, s'intéressant à de nombreux sujets qui n'étaient pas d'usage chez nous. J'enviais mes cousines d'avoir une mère si ouverte au monde. Elle et son mari n'hésitaient pas à voyager, à aller à Paris, à Toulon, puis ailleurs. Je crois me souvenir que mes parents avaient peur de tout, à moins que l'aspect financier ait été un frein réel. 
Ma tante était très proche de la famille, celle de ma mère, de tous, elle seule a su garder le contact avec ses cousines germaines, ses oncles, le village, les amis qu'elle avait depuis toujours. Elle maintenait ce lien coûte que coûte et avec bonheur. Sous les photographies des albums qu'elle avait pris soin d'annoter, elle pouvait toujours dire où s'était passée la scène, qui posait sur les photographies, ce que les personnages y faisaient. Souvent les deux soeurs sont ensemble, ma mère a l'air soucieux, ma tante est plus gaie, plus apaisée. 
Gilberte est morte ce matin, doucement après une fin de vie, tranquille mais pas très gaie, comme si elle avait renoncé à lutter.
J'adorais aller en vacances chez ma tante parce que c'était Saint-Malo, les remparts et la plage de Bon-Secours, parce que le grenier sentait bizarre, le bois chauffé au soleil, à l'étouffée ; entre les poutres, les semaines de Suzette m'attendaient pour que je les dévore, c'était pour moi le comble de la modernité "d'être abonnée"! Je lisais et relisais sans me lasser l'histoire des Romanos (c'est comme ça qu'on disait chez moi) vivant en roulotte et de leur trâlée de mômes dont le petit dernier allait pieds nus. 
Chez ma tante, du temps où on y passait nos vacances, on y retrouvait les enfants du camarade de guerre de mon oncle (39-45), plus âgés,  tellement dégourdis  et beaux, notamment le Jacquot qui avait un air de Thierry la Fronde où de Jacquou le croquant! Ces bonheurs familiaux n'ont duré qu'un temps, un drame sordide et probablement insignifiant nous a totalement séparé de ce qui pour moi était la vie de famille par excellence ; mes parents ont ensuite opté pour un repli bien tristounet sur le noyau restreint que nous formions, avec mon frère. 
Gilberte est indissociablement liée, pour moi, à l'après-guerre, aux années cinquante, puis soixante. Elle avait le goût de l'Histoire.
C'était une belle personne. 

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