dimanche 22 juin 2014

Testostérone


Le temps qu'il fait se mesure à l'ampleur des braillements sur la plage. Les bruits sont amplifiés par les rochers qui agissent comme caisse de résonance, par la douceur du soir, l'absence de vent et de ressac, la présence de jolies filles sur la crique, en paquets sur leur serviette. 
Les mâles paradent et braillent à qui mieux mieux, poussent des beuglements de puceaux en rut, crient des vannes oiseuses, se poussent, se tancent, se jettent à l'eau, sous l'oeil dubitatif des demoiselles. Je suppute à les écouter qu'ils jouent du muscle et exhibent leurs atours les plus beaux, quoique les caleçons ne mettent guère en valeur ce qu'ils ont de plus précieux (messieurs, le slip de bain est de loin nettement plus seyant!). Ils sautent du cul de l'éléphant, magnifique rocher à quelques mètres au dessus de la mer, comme toutes les générations de jeunes boutonneux avant eux. 
De temps en temps, quelques jeunes filles font partie du groupe, elles s'écouaquent façon dindes hystériques, poussant des cris comme on voit les actrices le faire dans les films, jouant leur rôle de mijaurées épatées par les mecs qui roulent les gros bras. C'est de bonne guerre et rituel, la danse "nuptiale", ne dure que quelques semaines en juin et en juillet, août égaillant les troupes. 
Cette année, point de troupeaux, la majorité de la jeunesse a dû trouver un autre terrain de jeux plus à la mode, mais les quelques égarés présents ce soir ne manquent pas de coffre! Fichtre! 
Rhahh, beuh, rhahh, ahhh et jurons délicats constituent l'ambiance apéritive de cette fin d'après-midi. 
Les crapauds de la mare leur font écho de manière nettement plus poétique mais néanmoins gutturale. Absents pendant plusieurs années, probablement victimes de leur prédateur, j'ai eu la bonne surprise de les entendre à nouveau ce printemps. A mon approche ils plouffent dans la flotte, mais si je jardine discrètement, ils s'habituent à ma présence et me font l'aubade! 
Peut-être que si j'arrive à en chopper un et l'embrasser sur la bouche se transformera-t-il en prince charmant? Cela dit, je n'y crois absolument plus, et cela fait belle lurette que je préfère savoir les crapauds dans la mare à s'occuper de leur gonzesse.  
J'aime aussi le chant des merles, des mésanges et autres petits volatiles qui essuient leur bec sur les tiges des papyrus. A cette heure, les roucoulements des tourterelles ne sont pas encore recouverts par les moteurs des marins du week-end partis bronzer aux glénan, la circulation sur l'autoroute liquide qui mène au port est encore fluide, dans trois heures, les bateaux se tireront la bourre afin d'être les premiers aux cales du port. Celui qui n'a pas de place aux pontons, renâcle à laisser son petit bijou au corps mort de la baie, les vols sont de plus en plus fréquents. Les voleurs ne font pas dans la dentelle, ils arrachent tout ce qui peut l'être et notamment le moteur. 
C'est peinard, pépère et modeste, réservé aux amoureux de la Bretagne, de ses  criques, de ses côtes découpées et de ses plages de sable fin. Pas de yachts "m'as-tu vu", immobiles le long des quais, ni de voiliers de luxe (même si JFA en fabrique), souvent ce sont des barcasses modestes pour les burinés locaux. Peu de femmes ont un permis de conduire les bateaux  de plaisance à moteur, ma fille qui l'a passé au printemps a d'ailleurs bénéficié d'une ristourne spéciale plaisancière, créée par l'école de nautisme pour les inciter à l'obtenir, elles étaient deux sur un groupe de 18 marins d'eau douce... Je m'interroge! Tenir la barre serait-il un privilège masculin? 

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