Quand j'étais petite, nous vivions à la campagne, dans un joli village de pierres grises ramassé autour de son église. La modernité avait fait que le cimetière qui l'entourait avait été rasé, remanié, déplacé hors du village, près de la croix de mission. Les cantonniers n'avaient pas bien nettoyé le vieux cimetière car des fémurs, des péronés et sans doute quelques morceaux de mâchoires ressortaient régulièrement le long du mur de l'église, dans la mousse verte de la terre battue. C'était un plaisir d'aller à la pêche et cela ne m'étonnait pas plus que ça! Nos trouvailles servaient la science puisque cela permettait à ma mère, institutrice du certificat d'étude de montrer de vrais os! Elle gardait une boîte remplie de mandibules, dents, phalanges, tarses et métatarses.
Nous habitions l'école communale, la grande, celle des grands, à l'époque, déjà mixte. On pénétrait dans le logement de fonction par deux marches de granit que surmontait un joli rosier grimpant, aux fleurs énormes, roses, très odorantes. Il fleurissait longtemps, ployant sous le poids des pétales. A droite, on entrait dans la classe, vaste avec son poêle, ses cartes de géographie aux murs, son plancher gras et noir, les tables et le bureau de ma mère derrière lequel j'adorai m'asseoir. Une fois, je devais avoir trois ou quatre ans, les gars de 14 ans restés en étude, de solides gaillards hilares, m'ont demandé d'ouvrir le tiroir où ma mère avait rangé une photographie de pin-up, confisquée. J'avais obtempéré, montré le trophée à toute la classe, complètement excitée, ma mère m'avait surprise et était parti d'un grand éclat de rire ... Ce fut ma première pin-up, en bikini, culotte jusqu'au nombril et soutien-gorge balconnet aux seins pigeonnants. Je vois encore la silhouette sage, jambes croisées, adossée à un mur, je me suis longtemps demandée pourquoi elle avait pu faire scandale, habituée que j'étais à voir ma mère se bronzer sur la plage de Bon-Secours à Saint-Malo. (Il se peut aussi qu'elle ait été seins nus, voire toute nue, mais ma mémoire est à ce sujet très sélective).
A droite, on pénétrait dans la cuisine du logement, qui comprenait un lavabo à eau froide, une table et cinq chaises, un magnifique buffet orné de vitres à décor floral délicat, qui furent remplacées par un affreux vitrage vert le jour où ma mère (ou mon père, je n'ai jamais su) avait balancé la cafetière contre une des portes lors d'une dispute qui dut être mémorable. Au fond, il y avait le poêle et son seau à charbon, une bouilloire posée en permanence à chauffer. On accédait à une chambre moderne qui fut la pièce à télé dans les années 60. Dans l'entrée, partait un escalier qui permettait l'accès aux deux chambres, celle des parents dotée d'un poêle verdâtre, qu'ils nous laissaient l'hiver, et qu'ils reprenaient l'été car elle était ensoleillée. Notre chambre, sombre et fraîche, donnait sur le jardin, et comme nous étions couchés dès 20h, mon enfance estivale a longtemps été bercer par le chant des martinets qui tournaient dans le ciel du soir.
Je pense que l'escalier de l'entrée se prolongeait vers les greniers et surtout la grande chambre où nous étions, les jours de pluie, autorisés à jouer avec les cartons qui y traînaient. Sous l'escalier, il y avait le cagibi, avec sa lessiveuse qu'il fallait sortir les jours de lavage, le garde-manger suspendu au plafond, et probablement tout un tas de merdiers dont je ne me souviens pas, hormis les peaux de lapins qui attendaient que le ramasseur de "peaux de lapins, peaux!" passe pour nous en débarrasser moyennant finances, je suppose. Je gardais une patte en porte-bonheur, celle qui avait servi à le suspendre au dessus de la bassine après qu'il ait été tué d'un solide coup de gourdin sur la nuque, énucléé puis dépiauté. (je vous passe les détails mais c'était fascinant à voir, j'allais dire plaisant....)
A l'extrémité du bâtiment, se trouvait la mairie où mon père officiait comme secrétaire et où, de tout temps, j'ai pu assister aux dépouillements lors des élections afin d'apprendre à voter. Je me souviens de voix d'hommes, de paysans parlant patois, habillés de noirs et de pantalons de velours amples, retenus par des bretelles cachées sous des petits gilets aux poches suintant la graisse, traces indélébiles des doigts à la recherche d'allumettes, ou de pièces, d'odeurs de sueur et de tabac dans une atmosphère bleutée. La cérémonie du dépouillement était sacrée, empreinte de solennité et de recueillement. Jamais, je n'ai entendu la moindre manifestation de joie ou de déception, la commune votait De Gaulle, invariablement.
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